Page:Sand - Laura - Voyages et impressions.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans cette région et à cette époque de l’année, aucun danger sérieux n’avait retardé notre marche, ni compromis la solidité de notre excellent navire. Seulement, à la vue des rives austères qui se dressaient de chaque côté du canal, encombré de montagnes de glace plus disloquées et plus menaçantes que toutes celles que déjà nous nous étions habitués à côtoyer, mon cœur se serra, et le visage des plus hardis matelots prit une expression de sombre recueillement, comme si nous fussions entrés dans le royaume de la mort.

Nasias seul montra une gaieté étonnante. Il se frottait les mains, souriait aux icebergs effroyables comme à de vieux amis longtemps attendus, et, si la gravité de son rôle de commandant de l’expédition l’eût permis, il eût, en dépit du vigoureux roulis qui nous ballottait sans relâche, dansé sur le pont.

― Qu’est-ce à dire ? s’écria-t-il en voyant que j’étais loin de partager son ivresse ; sens-tu déjà le froid, et dois-je aviser au moyen de te réchauffer ?

Sa figure était devenue tout à coup si despotique