Page:Sand - La Ville noire.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
la ville noire.

et je fus content d’être destiné à cela par mon parrain.

Dès le lundi matin, il m’emmena au travail. Tu sais quel homme c’est, le père Laguerre, et comme il s’escrime encore avec rage contre le fer et le feu malgré ses soixante-douze ans. Il me commanda de le regarder, et quand j’avais une distraction, bien naturelle à mon âge, il criait à me faire trembler et me menaçait de son marteau comme s’il eût voulu me fendre la tête.

Je n’eus pas longtemps peur de lui. Je vis bientôt que c’était l’homme le meilleur que j’eusse encore rencontré, et qu’en ayant toujours l’air furieux, il me couvait des yeux comme l’enfant de son cœur. Je n’abusai guère de sa bonté. L’ennui de ne rien faire me donna vite l’envie de travailler. J’étais jaloux de voir des enfants plus jeunes que moi se rendre déjà utiles et se montrer très-adroits. Je craignais un peu d’être moqué par eux ; mais l’émulation me fit surmonter la honte, et tu sais que j’ai appris mon état aussi vite que ceux qui avaient commencé longtemps avant moi.