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la petite fadette

trop jeunes pour cette besogne-là. La mère Barbeau eut grand’peur et grand chagrin quand son mari lui en parla pour la première fois. On eût dit qu’elle n’avait jamais prévu que la chose dût arriver à ses bessons, et pourtant elle s’en était inquiétée leur vie durant ; mais, comme elle était grandement soumise à son mari, elle ne sut que dire. Le père avait bien du souci aussi pour son compte, et il prépara la chose de loin. D’abord les deux bessons pleurèrent et passèrent trois jours à travers bois et prés, sans qu’on les vît, sauf à l’heure des repas. Ils ne disaient mot à leurs parents, et quand on leur demandait s’ils avaient pensé à se soumettre, ils ne répondaient rien, mais ils raisonnaient beaucoup quand ils étaient ensemble.

Le premier jour ils ne surent que se lamenter tous deux, et se tenir par les bras comme s’ils avaient crainte qu’on ne vînt les séparer par force. Mais le père Barbeau ne l’eût point fait. Il avait la sagesse d’un paysan, qui est faite moitié de patience et moitié de confiance dans l’effet du temps. Aussi le lendemain, les bessons voyant qu’on ne les taboulait point, et que l’on