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vi
préface

— Écoute le chant du labourage, me dit mon ami ; celui-là, du moins, n’insulte à aucune douleur, et il y a peut-être plus de mille ans que le bon vin de nos campagnes sème et consacre, comme les sorcières de Faust, sous l’influence de cette cantilène simple et solennelle.

J’écoutai le récitatif du laboureur, entrecoupé de longs silences, j’admirai la variété infinie que le grave caprice de son improvisation imposait au vieux thème sacramentel. C’était comme une rêverie de la nature elle-même, ou comme une mystérieuse formule par laquelle la terre proclamait chaque phase de l’union de sa force avec le travail de l’homme.

La rêverie où je tombai moi-même, et à laquelle ce chant vous dispose par une irrésistible fascination, changea le cours de mes idées.

— Ce que tu me disais ici l’an dernier, est bien certain, dis-je à mon ami. La poésie est quelque chose de plus que les poètes, c’est en dehors d’eux, au-dessus d’eux. Les révolutions n’y peuvent rien. Ô prisonniers ! ô agonisants ! captifs et vaincus de toutes les nations, martyrs de tous les progrès ! Il y aura toujours, dans le souffle de l’air que la voix humaine fait vibrer,