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ou quelque bacchanale antique. Peut-être ce païen, qui est en même temps le jardinier par excellence, n’est-il rien moins que Priape en personne, le dieu des jardins et de la débauche, divinité qui dut être pourtant chaste et sérieuse dans son origine, comme le mystère de la reproduction, mais que la licence des mœurs et l’égarement des idées ont dégradée insensiblement.

Quoi qu’il en soit, la marche triomphale arrive au logis de la mariée et s’introduit dans son jardin. Là on choisit le plus beau chou, ce qui ne se fait pas vite, car les anciens tiennent conseil et discutent à perte de vue, chacun plaidant pour le chou qui lui paraît le plus convenable. On va aux voix, et quand le choix est fixé, le jardinier attache sa corde autour de la tige et s’éloigne autant que le permet l’étendue du jardin. La jardinière veille à ce que, dans sa chute, le légume sacré ne soit point endommagé. Les Plaisants de la noce, le chanvreur, le fossoyeur, le charpentier ou le sabotier (tous ceux enfin qui ne travaillent pas la terre, et qui, passant leur vie chez les autres, sont réputés avoir, et ont réellement plus d’esprit et de babil que les simples ouvriers agriculteurs), se rangent autour du chou. L’un ouvre une tranchée à la bêche, si profonde qu’on dirait qu’il s’agit d’abattre un chêne. L’autre met sur son nez une drogue en bois ou en carton qui simule une paire de lunettes : il fait l’office d’ingénieur, s’approche, s’éloigne, lève un plan,