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vaise tasse de terre ébréchée, ou un vieux sabot pendu à sa ceinture par une ficelle, lui sert à demander l’aumône du vin. Personne ne lui refuse, et il feint de boire, puis il répand le vin par terre, en signe de libation. À chaque pas, il tombe, il se roule dans la boue ; il affecte d’être en proie à l’ivresse la plus honteuse. Sa pauvre femme court après lui, le ramasse, appelle au secours, arrache les cheveux de chanvre qui sortent en mèches hérissées de sa cornette immonde, pleure sur l’abjection de son mari et lui fait des reproches pathétiques.

— Malheureux ! lui dit-elle, vois où nous a réduits ta mauvaise conduite ! J’ai beau filer, travailler pour toi, raccommoder tes habits ! tu te déchires, tu te souilles sans cesse. Tu m’as mangé mon pauvre bien, nos six enfants sont sur la paille, nous vivons dans une étable avec les animaux ; nous voilà réduits à demander l’aumône, et encore tu es si laid, si dégoûtant, si méprisé, que bientôt on nous jettera le pain comme à des chiens. Hélas ! mes pauvres mondes (mes pauvres gens), ayez pitié de nous ! ayez pitié de moi ! Je n’ai pas mérité mon sort, et jamais femme n’a eu un mari plus malpropre et plus détestable. Aidez-moi à le ramasser, autrement les voitures l’écraseront comme un vieux tesson de bouteille, et je serai veuve, ce qui achèverait de me faire mourir de chagrin, quoique tout le monde dise que ce serait un grand bonheur pour moi.

Tel est le rôle de la jardinière et ses lamentations