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avoir fait tourner bride, je sautai sur le siége auprès de la soubrette, dont la frayeur ne se manifestait que par des torrents de larmes.

Je n’eus guère le temps de m’occuper de ses nerfs.

Rencontrer la diligence, l’arrêter, raconter l’aventure, et reprendre les devants pour montrer au conducteur et aux voyageurs la preuve des faits déclarés, tout cela fut accompli en moins d’un quart d’heure. Mais, ô surprise ! comme on dit dans les romans ; quand nous fûmes sur le lieu du combat, bien reconnaissable pour moi, grâce au fragment de ruine que j’avais exploré à dix pas du chemin, plus de morts, plus de blessés, plus de trace de l’aventure. Pas une goutte du sang de celui à qui j’avais fendu le crâne, pas un haillon enlevé dans la lutte à ses acolytes, pas même l’empreinte du piétinement des chevaux effrayés, ni celle des roues de la voiture sur le sable. Il semblait qu’un coup de vent eût tout balayé, et pourtant il n’y avait pas un souffle dans l’air.

Lord B*** était plus mortifié que surpris. Il était surtout blessé de l’air de doute du postillon de la diligence. Celui de la calèche était muet comme la tombe, défait, tremblant, peut-être désappointé. Brumières et quelques voyageurs ajoutaient foi à ma parole ; d’autres se disaient tout bas, en riant, que nous avions rêvé bataille, et qu’une panique nous avait troublé la cervelle. Quelques bergers, à la recherche de leurs troupeaux errants, riaient aussi et juraient n’avoir rien vu, rien entendu. Lord B*** avait fort envie de se mettre en colère et de se livrer à une minutieuse perquisition ; mais la nuit approchait, la diligence voulait arriver ; lady Harriet, nerveuse et malade, s’impatientait de l’obstination de son mari. Brumières, enchanté de retrouver sa princesse, et jaloux du bonheur que j’avais eu de lui porter secours, profitait de l’occasion pour faire l’empressé autour d’elle.