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tions de la veille au milieu de ces chefs-d’œuvre, de ces décorations splendides et de ces raretés rapportées par les ancêtres voyageurs ou trafiquants éclairés ! Comme la petite faïence anglaise jure à côté de la monumentale potiche de Chine, et comme nos colifichets d’industrie française à bon marché d’il y a dix ans sont étonnés de se trouver mêlés à ces vieux marbres et à ces fières peintures !

Il semble que les descendants des illustrissimes navigateurs aient pris en dégoût tout ce luxe de pirates, ou que la lassitude du cérémonial ait gagné les têtes, comme celle de mon Anglais de la Réserve. Peut-être ont-ils perdu quelque chose de plus que le goût de la magnificence, le goût du beau. On va jusqu’à dire que, dans certains palais, des toiles de grands maîtres ont été vendues aux étrangers par des gardiens infidèles, remplacées par des copies médiocres, et que les propriétaires ne s’en sont pas encore aperçus.

Je ne vous affirme nullement le fait ; mais, pour vous résumer mon impression générale, je vous dirai qu’ici tout est surprise charmante ou brusque déception. Si j’eusse été en humeur de travailler, le pittoresque m’eût pourtant retenu ; il est à chaque pas, dans une ville aussi raboteuse ; il faudrait s’arrêter devant toutes ces ruelles qui se tordent et se précipitent d’un plan à l’autre, passant sous des arcades multipliées qui relient les maisons entre elles et projettent, sur ces profondeurs brillantes, des ombres d’un velouté et d’une transparence inouïs. Oh ! s’il ne s’agissait que de peinture, la vie tout entière d’un artiste minutieux pourrait bien se consumer devant une de ces ruelles à perspective mouvementée ! Mais il s’agit d’autre chose ; il s’agit d’avancer, de comprendre, de vivre si faire se peut !

Pendant que j’avalais Gênes des yeux, des jambes et de l’esprit, mons Brumières poursuivait sa déesse. Mais voilà où recommence l’aventure, qui, j’espère, va vous faire