Page:Sand - La Daniella 1.djvu/55

Cette page n’a pas encore été corrigée

— C’est le type abâtardi ; et pourtant cet homme dégénéré est encore très-beau ; que vous en semble ?

Il ne me semblait pas du tout. Cette énorme barbe grossissant encore le volume d’une tête trop grosse pour le corps grêle et court ; ce nez de polichinelle surmonté de gros sourcils ombrageant des yeux trop fendus ; cette bouche de sot emportant violemment le menton dans tous ses mouvements, me faisaient l’effet d’une caricature de médaille antique ; mais mon ami Brumières paraît habitué à ces laideurs-là, et j’ai remarqué que toutes les figures qui me semblaient grotesques avaient de l’attrait pour lui, pourvu qu’elles eussent ce qu’il appelle de la race.

Au milieu du nombreux personnel qui encombre le Castor, nous nous sommes pourtant trouvés d’accord sur la beauté d’une femme. C’est un personnage assez mystérieux qui a, je crois, troublé la cervelle de mon camarade. Il veut que ce soit une princesse grecque ; soit. D’abord, nous l’avions prise pour une femme de chambre élégante, parce qu’elle était venue, au milieu du déjeuner, chercher quelques mets qu’elle a emportés elle-même dans sa chambre ; mais nous l’avons vue ensuite assise sur le pont, donnant des ordres en italien à une vraie suivante. Puis une dame âgée est apparue à ses côtés, celle sans doute qui était malade, une tante ou une mère, et elles ont parlé anglais comme si elles n’eussent fait autre chose de leur vie.

Brumières ne persiste pas moins à croire Grecque la belle personne qui captive son attention. C’est, en effet, un type oriental : les cils sont d’une longueur et d’une finesse inouïes ; les yeux, longs et doux, ont une forme tout à fait inusitée chez nous ; le front est élevé, avec des cheveux plantés bas ; la taille est d’une élégance et d’un mouvement magnifiques ; enfin, c’est, à coup sûr, une des plus belles femmes, sinon la plus belle femme que j’aie jamais vue.