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vu très-vite) qu’elle ne me trouvait plus ni beau, ni aimable ; ni intéressant. Elle avait bien assez à rougir en elle-même de m’avoir aimé si follement. Ça, je n’y pouvais rien ; mais je n’ai pas voulu qu’elle fût humiliée dans le monde, et je ne l’ai pas quittée. Je ne l’ai jamais quittée, ce qui l’ennuie bien, et moi aussi !

L’Anglais soupira, le Français se mit à rire.

— Ne riez pas ! reprit milord d’un ton sévère : je suis malheureux, très-malheureux ! Ce qu’il y a de pire, c’est que milady, douce comme un agneau avec tout le monde, est un tyran avec moi. Elle croit que sa fortune a payé le droit de m’opprimer. Je n’ai pas eu le bonheur de la rendre mère, et, pour cela aussi, je suis humilié dans son cœur. Et, encore un fléau !… elle est jalouse de moi. Arrangez cela ! Elle ne m’aime plus du tout, et nous ne sommes plus d’un âge à nous permettre ce ridicule. Eh bien, elle m’accuse de mauvaises mœurs, moi qui, pour ne pas lui donner prise sur ma conscience, ai dépensé tant de volonté à me sevrer de tout plaisir illicite ! Vous voyez, je ne bois même pas ! Et, quand je vais rentrer à l’hôtel, elle va me dire que je suis ivre… Je suis là avec vous, un ancien camarade, parlant raison et philosophie : elle m’accuse, en ce moment-ci, j’en suis sûr, de faire quelque débauche eu mauvaise compagnie… Et, si elle nous voyait ici, tête à tête, dînant avec sobriété, elle trouverait encore moyen de s’indigner. Elle dirait que le choix de ce petit restaurant de planches sur les roches est shocking, et que nous devrions être dans le pavillon le plus élégant de la Réserve… Comme si les clovis et les moules fraîches n’étaient pas aussi bons ici ! Je déteste le confort, moi ! Tout ce qui ressemble au luxe me rappelle ma femme. Heureusement, elle s’est imaginé de prendre avec elle une nièce très-belle, pour aller en Italie, et, comme elle craint que je ne la trouve pas laide… oh ! mon Dieu, cela