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cation, à mes goûts. J’aime à faire ma volonté, mais je ne suis pas méchant, et, n’ayant jamais pu vivre à ma guise, depuis que je suis marié, riche et considéré, j’ai toujours été très-malheureux.

— Comment donc ça ?

— Vous allez voir. Ma femme, dès le lendemain du mariage, me fit homme du monde. Je n’étais pas né pour ça. Je m’ennuyais dans la grandeur ; j’aimais mieux la compagnie des gens simples. J’aurais voulu parler marine et voyages ; il me fallait parler politique et littérature. Ma femme était bas-bleu. Elle lisait Shakspeare ; moi, je lisais Paul de Kock. Elle aimait les grands chevaux ; je n’aimais que les poneys. Elle faisait de la musique savante ; moi, je préférais la trompe de chasse. Elle ne recevait que des gens de la plus haute classe ; moi, je m’en allais volontiers causer avec mes gardes. Je me plaisais quelquefois au détail de la ferme ; elle ne trouvait rien d’assez luxueux et d’assez confortable pour la vie de château. Elle avait toujours froid quand j’avais chaud, et chaud quand j’avais froid. Elle voulait toujours aller en Italie quand je voulais aller en Russie, et réciproquement ; être sur terre quand j’aurais voulu être sur mer, et vice versa ; et de tout ainsi !

— La belle affaire ! s’écria le Français en riant. C’est là le mariage ! Un peu plus, un peu moins, c’est toujours la même histoire. C’est ennuyeux pour les pauvres gens qui n’ont pas le moyen de faire deux ménages ; mais, quand on est milord…

— Quand on est milord, on n’est pas pour cela un homme sans principes, repartit l’Anglais d’un ton qui révéla tout à coup une certaine supériorité de caractère ; si j’avais abandonné milady, elle aurait eu le droit de se plaindre et peut-être celui de manquer à ses devoirs. Je n’ai pas voulu faire de ma femme une femme délaissée. Je voyais bien (et je l’ai