Page:Sand - La Daniella 1.djvu/42

Cette page n’a pas encore été corrigée

aviez sans doute raison de me dire que la patience n’est pas le génie ; mais je suis tenté de croire que c’est la vertu, car ce n’est qu’à force de patience que j’ai amené mon père adoptif à ne pas souffrir de ma résolution. J’étais décidé à ne point le quitter sans avoir atteint ce résultat. Je devais cela à son affection, à ses bontés pour moi.

Je pense partir demain pour Gênes. Le passage des Alpes serait, m’a-t-on dit, assez pénible à un piéton en cette saison de bourrasques. C’est ce qui m’a décidé à prendre la voie de Marseille ; mais, à vrai dire, la mer n’est pas beaucoup plus praticable en cette saison. Le ciel est noir et le mistral souffle avec furie. Il s’est apaisé un peu ce soir, et on espère que le Castor, vapeur génois très-bon marcheur, pourra sortir du port.

J’étais déjà venu à Marseille, dans mon enfance, avec mon père. Il était, comme vous savez, d’origine provençale, et nous avions ici un vieux parent. Ce parent est mort aussi, et je n’ai plus personne ici que je me soucie de voir. J’ai très-bien reconnu les masses principales de la ville et des plans qui l’environnent. Je me rappelais avoir dîné avec mon père dans une baraque sur les rochers ; on appelle cet endroit la Réserve, et l’on y mange un certain coquillage très-recherché des indigènes, bien qu’assez coriace, qui parque naturellement en ce seul endroit du rivage. La baraque a brûlé ; à la place s’élève un élégant pavillon qui va, dit-on, disparaître aussi pour faire place à des constructions nouvelles.

J’ai poussé plus loin ma promenade. Courbé en deux par un vent terrible, j’ai vu la mer bien belle, plus belle que je ne me la rappelais. Enfant, elle m’avait terrifié ; aujourd’hui, sa grandeur m’a ébloui. Pourtant, c’est une chose formidablement triste que cette masse d’eau fouettée par la tempête. Aucune image n’exprime plus énergiquement la