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À mon âge, c’est-à-dire à l’âge que j’avais alors, et négligé comme je l’avais été, on ne sait pas défendre sa conviction. On la sent, on manque d’expressions et de preuves pour la formuler et la maintenir. On l’aime parce que, révélation ou chimère, elle vous a rendu heureux ; on la garde en soi avec terreur, comme le secret d’un premier amour. C’est une fleur précieuse qu’un souffle de dédain, un sourire de raillerie peut flétrir.

Cette crainte est encore en moi, elle est encore fondée, et, si je n’ai pas voulu vous faire juge de mes essais, ne croyez pas que ce soit par excès de vanité. Non ! Je me suis examiné sous ce rapport-là ; je me suis tâté le cœur et la tête avec impartialité. J’ai reconnu que, si je ne suis pas un sage, du moins je ne suis pas un fou. Il faudrait l’être pour me persuader que j’ai déjà du talent ; et ce qui me rassure, c’est que je suis bien certain de n’en point avoir encore. Ce que j’aime dans mon secret, ce n’est donc pas moi, c’est l’art en lui-même et pour lui-même. C’est mon espérance, que je veux garder encore vierge de toute atteinte, de toute réflexion, de tout regard. Il me semble qu’avec tant de respect pour mon idéal, je ne cours pas le risque de m’égarer, et que, le jour où je vous dirai : « Voilà ce que je sais faire pour exprimer ma pensée,» j’aurai véritablement conscience d’un succès relatif à mes forces ; je ne dis pas à mes aspirations ; ceci, je crois, ne peut jamais être atteint par personne.




IV


Marseille, le 12 mars 185…

Me voilà en route, mon ami. J’ai fini par calmer mon oncle et par emporter sa bénédiction et ma liberté. Vous