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obstacles se dresser entre nous, et la première brèche se faire à notre inaccessible paradis. Je regardais, ébahi et consterné, l’insupportable figure du bohémien, que j’étais désormais condamné à attendre et à désirer, à la place de l’idéale apparition de ma maîtresse. Le serpent avait pénétré dans l’Eden.

Et, à ma douleur, se mêlait une secrète irritation. Pourquoi, au lieu d’Olivia, de Mariuccia ou du frère Cyprien, qui étaient tous trois dans sa confidence, Daniella m’envoyait-elle cette canaille de Tartaglia, qui m’a toujours fait l’effet de l’espion par excellence ? Je ne pensais pas à lui demander comment, ainsi qu’il le prétendait, il avait pu, d’avance, savoir notre secret. Je pensais aux premières confessions de ma maîtresse, me racontant, avec une humble candeur, que le premier homme qui lui avait parlé d’amour et causé quelque vertige, c’était ce même bandit à figure de polichinelle. Elle ne le lui avait jamais avoué ; il ne l’avait peut-être pas deviné. Elle avait rougi, elle avait ri de sa propre folie. Elle en riait encore, elle le trouvait affreux, elle le savait libertin ; mais elle avait conservé pour lui de l’amitié, disait-elle, et une sorte d’estime relative que je ne comprenais pas et dont je lui aurais volontiers fait reproche, si, depuis les jours de notre ivresse, j’eusse pu me rappeler le nom et l’existence de ce drôle. Cette estime surprenante était donc bien plus grande que je ne m’en étais avisé, puisqu’elle allait jusqu’à la confiance la plus absolue, jusqu’au secret le plus intime.

Et voilà que notre bonheur idéal avait un confident, un commentateur, une sorte de témoin ! Et quel témoin ! le plus salissant de tous ceux qu’on pouvait choisir ! Tout me semblait dévoilé et profané maintenant. Un flot d’amertume contre ma divine Daniella se mêlait donc à la douleur d’être si brusquement et si tristement séparé d’elle. Je sentais mon ciel