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que sous les arbres, est plus rare dans ces ruines. Pourtant j’en ai découvert dans un nid dans la rocaille de la fontaine qui est au bout du parterre, et je les ménage religieusement ; j’en sais le compte.

Cette fontaine, la seule qui ait conservé de l’eau vive dans l’intérieur du château, est l’objet divertissant de mon enclos. Elle est placée sur une sorte de théâtre où l’on monte par un perron à bas reliefs de mosaïques représentant des dragons, et surmonté de vases ventrus, qui nourrissent une végétation de plantes sauvages assez semblables à des artichauts. Ces vilaines plantes sont tout à fait en harmonie avec ces vilains pots. La fontaine est une grande coupe posée sur un gros piédestal et garnie des mêmes gros vases de marbre blanc. Un lit d’herbes aquatiques surmontées de petites étoiles blanches d’une fraîcheur exquise, s’est installé au fond de cette vasque, qui occupe le milieu d’une espèce de proscénium d’un faux goût antique. Tout autour sont des niches vides de leurs personnages mythologiques et dans l’une desquelles l’eau arrive du dehors et remplit un bassin assez vaste, au ras du pavé de mosaïque. Car tout est marbre précieux dans cette futile décoration, et les échantillons de lapis, de porphyre, de jaspe, de vert et de rouge antiques craquent partout sous les pieds. Il y en a, près de la porte, un grand tas destiné à sabler le stradone, et sur ce tas dans un coin du mur, la tête à moitié cachée par les bardanes et les chardons, gît une pauvre bacchante rococo couronnée de raisins. Elle est là, avec son rire pétrifié sur une bouche en cœur, étalant au soleil ses seins nus, tandis que ses jambes, plantées debout à côté d’elle, semblent attendre qu’elle se relève.

Je goûte dans cette captivité, dans cette solitude absolue, des plaisirs que je ne connaissais pas. Ce matin, je regardais au-dessous de moi, par les balustrades de ma terrasse,