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Pour vous donner une idée, une fois pour toutes, des façons ironiques de mon oncle, il faut que je vous raconte mon arrivée ici, avant-hier au soir.

Comme aucune diligence, aucune patache ne dessert notre village, je vins à pied, à la nuit tombante, par un temps doux et des chemins affreux.

— Ah ! ah ! s’écria mon oncle dès qu’il me vit, c’est fort heureux ! Hé ! Marion ! c’est lui ! c’est mon coquin de neveu ! Fais-le souper, tu l’embrasseras après ; il a plus faim de soupe que de caresses. Assieds-toi, chauffe-toi les pieds, mon garçon. Je te trouve une fichue mine. Il paraît que tu ne gagnes pas déjà si bien ta vie, là-bas, car tu as fait maigre chère, ça se voit. Ah çà ! il paraît que tu t’en vas en Italie pour détrôner Raphaël et… et les autres fameux barbouilleurs dont je ne sais plus les noms ! Ça me flatte de penser que je vas avoir un homme célèbre dans ma famille ; mais ça n’augmentera guère ton patrimoine, car il y a le vieux proverbe : Gueux comme un peintre ! Tu es donc toujours toqué ? Allons, soit. Pourvu que tu restes honnête homme ! Mais ne mange pas tout ton bien avant que je sois mort, et ne fais pas de dettes, car je ne te laisserai pas la rançon d’un roi. D’ailleurs, je t’avertis que je veux m’en aller le plus tard possible, et, si j’en juge par ta figure, je me porte mieux que toi. Prends garde que je ne t’enterre !

Après beaucoup de quolibets de ce genre, l’abbé Valreg me fit plusieurs questions, dont il n’écouta pas ou ne comprit pas les réponses, ce qui lui servit de texte pour me railler de nouveau.

— L’Italie ! dit-il, tu crois donc que les arbres y poussent les racines en l’air, et que les hommes y marchent la tête en bas ? Voilà une bêtise, d’aller hors de chez soi étudier la nature, comme si partout les hommes n’étaient pas aussi bêtes et les choses de ce monde aussi laides ! Quand j’étais jeune, mes supérieurs, sous prétexte