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devrais l’aller trouver, me mouiller, marcher dans les ténèbres, affronter les mauvaises rencontres ; et, puisqu’en me recevant chez elle ou chez Olivia, il est impossible qu’elle ne soit pas diffamée ou menacée, il faut que je l’emmène ou que je l’épouse. Ce mystère était plein de charmes ; mais il a de trop graves inconvénients, il me coûte trop d’inquiétudes et de remords.

J’oubliais que j’étais sous le coup d’une arrestation, et que, mon emprisonnement devant faire le désespoir de Daniella, je lui avais donné ma parole de ne rien négliger pour m’y soustraire. Je me rappelai cette circonstance ; mais n’était-il pas plus facile de fuir ensemble que de se cacher à deux pas de nos ennemis, dans les ruines de Mondragone ?

Oui, oui, il faut fuir, me disais-je, et fuir dès demain. Il faut que cette soirée charmante et cette nuit poétique ne me portent pas à m’endormir dans les délices de l’égoïsme. Eh bien, ce souvenir restera en nous comme une date romanesque dans l’histoire de nos amours ; mais, la nuit prochaine, il faut, à tout prix, sortir des États du pape.

M’étant arrêté à cette résolution, je restai près du feu, absorbé dans une douce rêverie, voulant savourer toutes les impressions de cette nuit d’aventures à laquelle je ne devais pas vouloir de lendemain. La flamme montait dans l’âtre et projetait une vive clarté sur Daniella endormie. Quel beau sommeil que le sien ! Je n’en ai jamais vu de semblable ; c’est un des contrastes de cette organisation en qui toute chose touche à l’extrême. Autant elle est agissante et d’une vie énergique dans la veille, autant elle est calme et comme ensevelie dans le repos. Elle ne rêve pas ; on l’entend à peine respirer. Elle est comme changée en statue dans sa pose simple et chaste. Sa physionomie est grave, impassible, recueillie comme dans une contemplation sereine du monde supérieur.