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rien n’y résiste, et que la plus médiocre danseuse prend de l’élan et comme de la fureur.

Pourtant, la danse n’était pas enlevée au gré de Daniella, et, pour lui imprimer plus de feu, elle se mit à chanter l’air à pleine voix, avec un accent de colère, des paroles de reproche et d’excitation à ses compagnes endormies, et cette facilité d’improvisation à laquelle se prête la langue italienne, dont toutes les classes de la population manient le mètre et la rime presque aussi aisément que la prose. Toute parole chantée de cette façon a le privilège de produire une grande animation ou une grande gaieté sur les auditeurs. On cessa de danser pour écouter Daniella, qui, au milieu des rires de ses compagnes et des siens propres, débitait une kyrielle de couplets mordants et plaisants. On lui criait, dès qu’elle voulait s’arrêter :

— Encore, encore !

L’air qu’elle chantait est sauvage et original. Elle a une voix admirable, la plus puissante et, en même temps, la plus douce et la plus suave que j’aie jamais entendue, quelque chose qui va au cœur et aux sens, même en jetant follement des badinages enfantins et en affectant un accent courroucé.

— Mon Dieu ! pensais-je, qu’elle est belle et complète, cette organisation méridionale qui se joue de toutes les choses enseignées, et qui trouve en elle-même le sens vivant du beau dans toutes ses manifestations !

J’étais comme honteux, comme effrayé de posséder cette femme que la foule couronnerait et acclamerait, si elle était en ce moment sur un théâtre avec cet abandon et cette inspiration qui n’ont vraiment ici que moi pour public.

Elle était si enivrée de sa danse, de son chant et de son tambour de basque, qu’elle semblait ne pas m’avoir aperçu encore. J’en fus piqué, et, m’approchant d’elle, je lui dis un mot à l’oreille. Elle jeta en l’air le tamburello, et, abaissant sur moi ses beaux yeux humides de plaisir, elle étendit les