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lent ? Comment se fait-il que je n’aie pas encore rencontré l’amour sur mon chemin ? Est-ce parce que je suis plus difficile, plus exigeant qu’un autre ? Non, car mon idéal a toujours été vague en moi-même. Je ne me suis jamais fait le portrait de la femme à qui je dois me livrer sans réserve. Je me promettais de la reconnaître en la rencontrant ; mais je ne me disais pas qu’elle dût être grande ou petite, blonde ou brune.

— Elle viendra, me disais-je, quand je serai digne d’être aimé ; c’est-à-dire quand j’aurai fait de grands efforts de courage, de patience et de sobriété pour être tout ce que je puis être en ce monde.

Il me semblait suivre un bon raisonnement, cultiver ma vie comme un jardin d’espérance ; mais n’était-ce pas là une suggestion de l’orgueil ? Apparemment je comptais, comme Brumières, trouver une des merveilles de ce monde, puisque je m’appliquais à faire une merveille de moi-même. Ne pouvais-je me contenter d’une humble fille de ma classe, qui m’eût accepté tel que je suis, et qui m’eût aimé naïvement, saintement, et sans rien concevoir de mieux que mon amour ?

Et j’aurais été heureux ! tandis que je n’ai été que prudent et raisonnable ; vous aviez mille fois raison de le penser. J’ai, mille fois peut-être, étouffé le cri de mon cœur, peut-être ai-je passé mille fois auprès de la femme qui m’eût révélé le vrai de la vie. Je me suis acharné à voir les dangers d’une passion prématurée ; je n’ai pas compris l’ivresse de ces dangers, et ce vaillant, ce généreux sacrifice de la raison qui accepte la grande folie de l’amour, telle que Dieu nous l’a donnée.

Je songeais ainsi en descendant de Tusculum, et travers les taillis de chênes. Le rapide sentier, tout pavé en polygones de lave, était encore une rue de la ville antique, et, sous les racines des arbres, je voyais apparaître des restes de constructions enfouies. Je passai devant le couvent des