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prendre ce qui peut être enseigné. J’irai dans l’atelier de quelque maître. Je me ferai d’abord esclave du métier, et quand j’en tiendrai un peu les procédés, je lâcherai la bride à mes instincts. Alors, vous me jugerez, et, si j’ai quelque talent, je ferai des efforts pour en avoir davantage. Sinon, j’accepterai ma nullité avec une résignation complète, et peut-être avec une certaine joie.

— Aie ! m’écriai-je, voici le fond de paresse ou d’apathie qui reparaît.

— Vous croyez ?

— Oui ! pourquoi se réjouir d’être nul ?

— Parce qu’il me semble que le talent impose des devoirs immenses, et que j’aurais plutôt le goût des humbles devoirs. C’est si peu la paresse qui me conseille, que, si je trouvais à m’employer honorablement au service d’une grande intelligence, je me sentirais fort heureux d’avoir à jouir de sa gloire sans en porter le fardeau. Avoir tout juste assez d’âme pour savourer la grandeur des autres, pour la sentir vivre au dedans de soi, sans être forcé par la nature à la manifester avec éclat, c’est un état délicieux que j’ambitionne ; c’est mon rêve de douce médiocrité que je caresse : la médiocrité de condition, avec l’élévation du cœur et de la pensée, l’expansion dans l’intimité, la foi à quelque chose d’immortel et à quelqu’un de vivant. Suis-je donc si coupable à vos yeux, de vouloir apprendre pour comprendre, et de ne rien désirer de plus ?

— À la bonne heure ! Essaie ! Je ne crois pas que cette modestie t’empêche d’acquérir du talent, si tu dois en avoir. Il faudra pourtant songer à apprendre assez pour faire au moins de cette peinture un petit métier ; car, avec tes 1,000 francs de rente…

— Douze cents francs ! Mon revenu, capitalisé depuis dix ans par mon oncle, a porté mon revenu à ce chiffre respec-