Page:Sand - La Daniella 1.djvu/217

Cette page n’a pas encore été corrigée

est largement ouvert, fertile, plantureux et pittoresque. Je vous dirai, par le menu, ce qui manque à cette riche nature ; mais je n’oublie pas que je suis sur le pont gigantesque d’Aricia, planant sur la forêt Chigi, et causant avec Brumières.

— J’étends votre raisonnement et le mien à toutes choses, lui disais-je, et cela n’en prouve qu’une seule, c’est que chaque organisation suit sa logique personnelle et croit tenir la vraie notion, la vraie jouissance des biens terrestres. Je vous avoue donc humblement que je me crois infiniment mieux partagé que vous. Je n’ai pas cette bienveillance sans bornes et sans conteste que vous accordez à tout ce qui est réputé précieux. Je suis privé, en effet, de cette expansion continuelle d’une âme continuellement satisfaite ; mais j’ai en moi des trésors de volupté pour les joies qui s’adaptent bien à mon cœur et à mon intelligence. J’ai l’esprit un peu critique peut-être, ou un peu rebelle à l’admiration de commande ; mais, quand je rencontre ce que je peux considérer comme mien, par la parfaite concordance de l’objet avec mon sentiment intérieur, je suis si heureux dans mon silence, que je ne peux m’en arracher. J’ai toujours pensé que, le jour où je rencontrerai le coin de terre dont je me sentirai véritablement épris, je n’en sortirai jamais, cela fût-il aux antipodes ou à Nanterre, cela s’appelât-il Carthage ou Pézénas ; de même que…

J’achevai ma phrase en moi-même, comme vous m’avez souvent reproché de le faire ; mais Brumières, perspicace en ce moment, l’acheva tout haut.

— De même, dit-il, que, le jour où vous rencontrerez la femme dont vous vous sentirez complètement amoureux, qu’elle soit reine de Golconde ou laveuse de vaisselle, vous serez à elle éternellement… mais non pas exclusivement, j’espère ?