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jetée dans un abîme. Une forêt vierge fermée de murs, c’est là une de ces fantaisies que des princes peuvent seuls se passer. Il y a cinquante ans que la main de l’homme n’a abattu une branche et que son pied n’a tracé un sentier dans la forêt Chigi. Pourquoi ? Chi lo sa ? vous disent les indigènes.

Cela m’a rappelé ce que vous me racontiez d’un palais aux portes et aux fenêtres murées depuis vingt ans, sur le boulevard de Palma, à l’île Majorque, par suite d’une volonté testamentaire dont nul ne savait la cause. Il y a, dans ces contrées de vieille aristocratie omnipotente, des mystères qui défrayeraient nos romanciers, et qui excitent en vain nos imaginations inquiètes. Les murs se taisent, et les gens du pays s’étonnent moins que nous, habitués qu’ils sont à ne pas savoir la cause de faits bien plus graves dans leur existence sociale.

Au reste, ce caprice-là, qui serait bien concevable de la part d’un propriétaire artiste, est une agréable surprise pour l’artiste qui passe. Sur les flancs du ravin s’échelonnent les têtes vénérables des vieux chênes soutenant dans leur robuste branchage les squelettes penchés de leurs voisins morts, qui tombent en poussière sous une mousse desséchée d’un blanc livide. Le lierre court sur ces mines végétales, et, sous l’impénétrable abri de ces réseaux de verdure vigoureuse et de pâles ossements, un pêle-mêle de ronces, d’herbes et de rochers va se baigner dans un ruisseau sans rivages praticables. Si l’on n’était sur une grande route, avec une ville derrière soi, on se croirait dans une forêt du nouveau monde.

En fait d’arbres, je n’ai jamais rien vu d’aussi monstrueux que les chênes verts des galeries d’Albano. On appelle ainsi les chemins qui entourent cette localité célèbre en suivant une corniche faite de main d’homme, au-dessus de la plaine immense qui dentelle la Méditerranée. Ce pays du Latium