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— Encore un amour pur ?

— Un amour est toujours pur quand il est sincère, et, puisque lady Harriet ne veut pas entendre parler de son mari, bien qu’elle en soit jalouse pour le qu’en dira-t-on, j’aurais pu être honnêtement sa rivale en secret et sans troubler le ménage ; mais cela ne fut pas, parce que… un jour, à Paris, je vis milord ivre. Cela ne lui arrive pas souvent : c’est quand il a un surcroît de chagrin. J’eus à le soigner pour que sa femme ne s’aperçût de rien. Je le trouvai si laid dans le vin, si vieux avec sa figure pâle et son front sans perruque, si drôle enfin dans son malheur, qu’il ne me fut plus possible de le prendre au sérieux. C’est un homme excellent que j’aimerai toujours, le seul que je regrette dans la famille ; mais, si on me l’offrait pour père ou pour mari, je le choisirais pour père.

— Allons ! et de deux avec qui vous avez eu la bonne chance de vous désillusionner à temps ; mais le troisième ?

— Le troisième ? C’est vous.

Cette parole aimable méritait encore un baiser.

— Attendez ! dit-elle après me l’avoir laissé prendre. Puisque vous êtes un homme sincère, je dois tout vous dire. Je vous ai aimé à la folie, mais cela a beaucoup diminué, et, à présent, je pourrais m’en guérir comme je me suis guérie des autres.

— Dites-moi ce qu’il faudrait faire pour cela, afin que je ne le fasse pas.

— Il faudrait essayer de me tromper, et, comme vous n’en viendriez pas à bout…, je me dégoûterais de vous tout de suite.

— Qu’appelez-vous donc tromper ?

— Aimer la Medora et vouloir me faire croire le contraire.