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lettres du président de Brosses, l’homme qui, malgré son apparente légèreté, a le mieux vu l’Italie de son temps. Il s’est beaucoup moqué des jeux d’eaux et girandes, des statues grotesques et des concerts hydrauliques de ces villégiatures de Frascati. Il a eu raison. Lorsqu’il voyait dépenser des sommes folles et des efforts d’imagination puérile pour créer ces choses insensées, il s’indignait de cette décadence du goût dans le pays de l’art, et il riait au nez de tons ces vilains faunes et de toutes ces grimaçantes naïades outrageusement mêlés aux débris de la statuaire antique. Il appelait cela gâter l’art et la nature à grands frais d’argent et de bêtise, et je m’imagine que, dans ce temps-là, quand tous ces fétiches étaient encore frais, quand ces eaux sifflaient dans des flûtes, que les arbres étaient taillés en poire, les gazons bien tondus et les allées bien tracées, un homme de sens et de liberté, comme lui, devait à bon droit s’indigner et se moquer.

Mais, s’il revenait ici, il y trouverait un grand et heureux changement : les Pans n’ont plus de flûte, les nymphes n’ont plus de nez. À beaucoup de dieux badins, il manque davantage encore, puisqu’il n’en reste qu’une jambe sur le socle. Le reste gît au fond des bassins. Les eaux ne soufflent plus dans des tuyaux d’Orgue ; elles bondissent encore dans des conques de marbre et le long des grandes girandes ; mais elles y chantent de leur voix naturelle. Les rocailles se sont tapissées de vertes chevelures, qui les rendent à la vérité. Les arbres ont repris leur essor puissant sous un climat énergique, et sont devenus des colosses encore jeunes et pleins de santé. Ceux qui sont morts ont dérangé la symétrie des allées ; les parterres se sont remplis de folles herbes ; les fraises et les violettes ont tracé des arabesques aux contours des tapis verts ; la mousse a mis du velours sur les mosaïques criardes : tout a pris un air de révolte, un cachet d’abandon, un ton de ruine et un chant de solitude.