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taine originalité. Medora, beaucoup plus intelligente que sa tante, en fut peu à peu frappée, et, regardant alternativement lui et moi avec quelque surprise, elle arriva à daigner causer avec ce pauvre oncle comme avec un être de quelque valeur. Cette espèce d’adhésion gagna insensiblement lady Harriet, qui cessa de sauter comme une carpe à chaque parole de son mari, et qui voulut bien, par deux ou trois fois, dire en l’écoutant : Juste, extrêmement juste !

Quand on nous eut servi le café, les femmes se levèrent pour mettre leur manteau, car le ciel s’était couvert et le froid se faisait sentir. Lord B*** les retint.

— Attendez encore un peu, leur dit-il. Prenez un verre de bordeaux et trinquez avec moi, à la française.

Cette proposition révolta sa femme ; mais Medora, qui a beaucoup d’ascendant sur elle, prit un verre, et, après y avoir mouillé ses lèvres, demanda quelle santé son oncle voulait porter.

— Buvons à l’amitié, répondit-il avec une émotion concentrée. Lady Harriet, faites-moi la grâce de boire à l’amitié.

— À quelle amitié ? dit-elle ; à celle que nous avons pour M. Jean Valreg, notre sauveur ? À l’amitié et à la reconnaissance ! Je ne demande pas mieux !

— Non, non, reprit lord B***, Valreg n’a pas besoin de témoignages particuliers, et ce que je vous propose a un sens général.

— Expliquez-vous, dit Medora. Je suis sûre que vous allez vous expliquer très-bien.

— Je bois, dit-il en élevant son verre, à cette pauvre bonne personne de déesse, veuve de messer Cupidon, laquelle demeure au fond du carquois épuisé de flèches, comme Pandore au fond de la boite des afflictions et des malices. C’est une indigente que les jeunes gens méprisent parce qu’elle est vieillotte et modeste ; mais nous, mylady…