Page:Sand - La Daniella 1.djvu/123

Cette page n’a pas encore été corrigée

fille d’avoir à s’effacer pour faire place à une autre, et de consacrer sa vie à orner une idole en s’oubliant soi-même ? Et, parce que cette humble prêtresse de la Medora se permettait de croire à mes hommages, la déesse courroucée l’avait menacée de la chasser de son sanctuaire !

— Certainement, lui dis-je, je ne vous ai jamais vue si bien arrangée.

— Vous croyez ? répondit-elle du ton d’une femme au-dessus de ces misères. Je m’arrange toujours moi-même, et j’y mets si peu de temps !

— Ah ! vraiment ? Vous avez l’adresse d’une fée et le goût d’une véritable artiste.

Nous étions seuls : elle en profita pour être coquette, et même un peu lourdement, comme le sont, je crois, les Anglaises quand elles s’en mêlent.

— Ne faites donc pas semblant de me regarder, dit-elle ; je ne suis pas belle du tout dans votre opinion.

— C’est vrai, répondis-je en riant : vous êtes laide, mais bien coiffée, et j’envie votre habileté.

— Ah ! et pourquoi faire ? Voulez-vous donc natter et crêper vos cheveux ?

— Je voudrais, dans l’occasion, savoir dire à un modèle comment il faut s’arranger. Est-ce que vous me permettez de regarder de près ?

— Oui, regardez bien, et vous direz à la fameuse lavandière de l’Aqua argentina de s’arranger comme moi. Ah ça ! vous touchez à mes cheveux ? Savez-vous qu’on ne doit pas toucher à un seul cheveu d’une Anglaise ?

— J’ai ce droit-là, ne vous semble-t-il pas ?

— Vous ? et pourquoi donc, s’il vous plaît ?

— Parce que, auprès de vous, je suis absolument calme et indifférent. Je suis le seul homme au monde capable