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femme si intelligente et si forte, que la veille encore je regardais comme mon guide et mon appui ; car j’avais à peine dix-neuf ans, moi, monsieur Goefle !

» Quand les restes de Silvio Goffredi furent déposés dans la tombe, sa veuve fut calme, et l’on pourrait même dire que, dans ce calme excessif et subit, se manifesta l’accomplissement de sa funeste destinée. Je perdis tout espoir en reconnaissant qu’elle était devenue, pour ainsi dire, étrangère à elle-même. Une seule idée l’absorbait, c’était le monument qu’elle voulait faire élever à son cher Silvio. Dès lors il ne fallut lui parler ni l’occuper d’autre chose. Toute espèce de travail pour mon compte me devint impossible, car elle ne dormait pas et me laissait à peine le temps de dormir quelques heures, je ne dirai pas chaque jour, mais chaque semaine. Il ne fallait pas songer à la confier un seul instant à d’autres soins que les miens. Avec tout autre que moi, elle s’irritait et tombait dans des crises épouvantables ; avec moi, elle n’eut pas un seul accès de fureur ou de désespoir. Elle m’entretenait sans cesse non de son mari, il semblait qu’elle n’en eût pas conservé le moindre souvenir particulier, et qu’il fût devenu pour elle un être de raison qu’elle n’avait jamais vu, mais de l’épitaphe, des emblèmes, des statues dont elle voulait décorer sa tombe.