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prix, se redonner une soirée d’homme du monde, il savait bien qu’à moins d’un coup de théâtre qui compromettrait gravement son succès, il se tirerait de son rôle mieux que la plupart des gens titrés ou gradés qui se trouvaient là.

Cependant la petite comtesse Elfride, accrochée ou plutôt suspendue au bras du monumental baron Olaüs, avait passé deux fois sans rencontrer les yeux de Cristiano. À la troisième, elle toussa très-fort, puis amena le baron jusqu’auprès de Marguerite, et Cristiano, qui comprit, s’arracha à l’enivrement de la conversation pour s’effacer et observer le personnage sans attirer son attention.

Le baron Olaüs était très-grand, très-gros et très-beau en dépit de l’âge, mais d’une physionomie réellement effrayante par sa blancheur mate et sa sinistre impassibilité. Son regard fixe tombait sur vous comme ces coups de vent glacé qui ôtent la respiration, et sa bouche avait un sourire morne, d’un dédain et d’une tristesse extraordinaires. Sa voix, sans inflexion, était d’une sécheresse désagréable, et, dès qu’il l’entendit s’adresser à Marguerite, Cristiano reconnut celle du personnage qui, une heure auparavant, faisait si bon marché de la Suède dans ses épanchements avec un diplomate russe. Il le reconnut aussi à sa haute taille et à son habillement riche et