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MARCUS.

Non, je ne crois point en vous, qui vous êtes fait ici à tout propos l’avocat de l’amour, pour faire ressortir ma réserve et mon inexpérience, en vous qui n’avez pas joué auprès d’Hélène le rôle d’un ami sérieux ; car, au lieu de lui indiquer pour appui l’homme sans artifice et sans reproche que je sais être, vous vous êtes offert à elle insidieusement comme le type des saintes ardeurs, comme le chevalier des causes sublimes. Tenez, monsieur, je suis bien aise de pouvoir enfin vous le dire, c’est vous qui m’avez rendu sceptique et raisonneur comme j’ai été forcé de l’être, depuis que vous vous êtes mêlé à notre existence ! C’est vous qui êtes cause que je hais toutes les idées dont vous vous êtes constitué le champion. C’est vous enfin qui m’avez empêché de penser et de vivre !

MAXWELL.

C’est donc là mon rôle, à moi ? c’est donc là ma destinée ? Marcus, si vous saviez votre injustice et le mal que vous me faites, non, vous n’auriez pas ce courage !

MARCUS, impatient.

Expliquez-vous donc !…

MAXWELL.

Je ne puis ! non, je ne peux rien ! J’ai cru apporter ici le dévouement d’une âme ardente et je vois que je n’y ai fait que du mal ! J’ai voulu mêler, comme vous dites, ma triste existence à celle des autres, remplir les devoirs, goûter les douceurs de la famille, et, pour prix de mes efforts, tout me repousse et me condamne ! Cela devait être ; l’étranger, je suis l’étranger, moi ! Celui qui n’a pas de liens, celui qui n’a pas de droits, celui dont le zèle est suspect et l’affection calomniée !… Oh ! enfants ! nos juges implacables ! que vous êtes donc présomptueux et cruels ! Ah ! malheur à qui brave un seul jour les lois du monde ! Il n’y aura pas de refuge pour lui dans les lois du ciel ! Nouveaux dans la vie, vous comptez orgueilleusement sur vous-mêmes, vous ne vous demandez pas si vous serez des hommes, vous vous croyez hommes