Page:Sand - Lélia, édition Dupuy-Tenré, 1833, tome 1.djvu/294

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la suite d’une ombre à travers les écueils, les déserts, les enchantemens et les abîmes de la vie, j’ai tout vu sans pouvoir m’arrêter. J’ai tout admiré en passant sans pouvoir jouir de rien. J’ai affronté tous les dangers sans succomber à aucun, toujours protégée par cette puissance fatale qui m’emporte dans son tourbillon, et m’isole de l’univers qu’elle fait passer sous mes pieds.

Voilà le sommeil que nous nous sommes fait.

Les jours sont employés à nous reposer des nuits. Plongés dans une sorte d’anéantissement, les heures d’activité pour toute la création nous trouvent, nonchalans et sans vie, occupés à attendre le soir pour nous réveiller, et la nuit pour dépenser en vains rêves le peu de force amassée durant le jour. Ainsi marche ma vie depuis bien des années. Toute l’énergie de mon ame se dévore et se tue à s’exercer sur elle-même, et tout son effet extérieur est d’affaiblir et de détruire le corps.