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les plus savoureux, appauvrit toutes les jouissances ; à ton âge on ne sait profiter de rien, on veut tout connaître, tout posséder, tout épuiser, et puis on s’étonne que les biens de l’homme soient si peu de chose, quand il faudrait s’étonner seulement du cœur de l’homme et de ses besoins. Va, crois-moi, marche doucement, savoure une à une toutes les ineffables jouissances d’un mot, d’un regard, d’une pensée, tous les riens immenses d’un amour naissant. N’étions-nous pas heureux hier sous ces aunes, quand assis l’un près de l’autre nous sentions nos vêtemens se toucher et nos regards se deviner dans l’ombre ? Il faisait une nuit bien noire, et pourtant je vous voyais, Sténio ; je vous voyais beau comme vous êtes, et je m’imaginais que vous étiez le sylphe de ces bois, l’ame de cette brise, l’ange de cette heure mystérieuse et tendre. Avez-vous remarqué, Sténio, qu’il y a des heures où nous sommes forcés d’aimer, des heures où la poésie nous inonde,