Page:Sand - Journal d’un voyageur pendant la guerre.djvu/95

Cette page a été validée par deux contributeurs.

durer longtemps encore. L’invasion se répand, rien ne semble préparé pour la recevoir. Nous tombons dans l’inconnu, nous entrons dans la phase des jours sans lendemain ; nous nous faisons l’effet de condamnés à mort qui attendent du hasard le jour de l’exécution, et qui sont pressés d’en finir parce qu’ils ne s’intéressent plus à rien. Je ne sais si je suis plus faible que les autres, si l’inaction et un état maladif m’ont rendue lâche. J’ai fait bon visage tant que j’ai pu ; je me suis abstenue de plaintes et de paroles décourageantes, mais je me suis sentie, pour la première fois depuis bien des années, sans courage intérieur. Quand on n’a affaire qu’à soi-même, il est facile de ne pas s’en soucier, de s’imposer des fatigues, des sacrifices, de subir des contrariétés, de surmonter des émotions. La vie ordinaire est pleine d’incidents puérils dont on apprend avec l’âge à faire peu de cas ; on est trahi ou leurré, on est malade, on échoue dans de bonnes intentions, on a des séries d’ennuis, des heures de dégoût. Que tout