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Ces réflexions me saisissent au lever du soleil, après quatre jours de fièvre que vient de dissiper ou plutôt d’épuiser une nuit d’insomnie. En ouvrant ma fenêtre, en aspirant la fraîcheur du matin et le profond silence d’une campagne encore matériellement tranquille, je me demande si tout ce que je souffre depuis six semaines n’est point un rêve. Est-il possible que ce matin bleu, cette verdure renouvelée après un été torride, ces nuages roses qui montent dans le ciel, ces rayons d’or qui percent les branches, ne soient pas l’aurore d’un jour heureux et pur ? Est-il possible que les héros de nos places de guerre souffrent mille morts à cette heure, et que Paris entende déjà peut-être gronder le canon allemand autour de ses murailles ? Non, cela n’est pas. J’ai eu le cauchemar, la fièvre a déchaîné sur moi ses fantômes, elle m’a brisée. Je m’éveille, tout est comme auparavant. Les vendangeurs passent, les coqs chantent, le soleil étend sur l’herbe ses tapis de lumière, les enfants rient sur le chemin. — Horreur ! voilà des blessés qui reviennent, des