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les trois Allemands en frappant la pierre antique du talon de leurs bottes.

Mais la voix répondit :

— Le cadavre est sous vos pieds ; l’âme plane dans l’air que vous respirez, elle vous pénètre, elle vous possède, elle vous embrasse et vous dompte. Attachée à vous, elle vous suivra ; vous l’emporterez chez vous vivante comme un remords, navrante comme un regret, puissante comme une victime inapaisable que rien ne réduit au silence. À tout jamais dans la légende des siècles, une voix criera sur vos tombes :

« Vous avez tué et brûlé la France, qui ne voulait plus de césars, pour faire à ses dépens la richesse et la force d’un césar qui vous détruira tous ! »

Les trois étrangers gardèrent le silence ; puis ils ôtèrent leurs casques teutons, et la lune éclaira trois belles figures jeunes et douces, qui souriaient en se débarrassant d’un rêve pénible. Ils voulaient oublier la guerre et rêvaient encore. Ils se croyaient transportés dans leur pa-