Page:Sand - Jean de la Roche (Calmann-Levy SD).djvu/54

Cette page n’a pas encore été corrigée

était cependant assez beau garçon, jeune encore et très-propre pour un savant ; mais il paraissait me trouver stupide, il souriait de la peine que prenait son patron pour un âne de mon espèce, il ouvrait les armoires, il exhibait les échantillons précieux de l’air d’un homme qui croit semer des perles devant les pourceaux. Enfin il m’était odieux, ce personnage. Son attitude me rendait muet devant les plus belles choses, ou, quand je me sentais obligé de témoigner mon admiration, il ne me venait sur les lèvres que des exclamations absurdes ou des réflexions à contresens. Et puis chaque objet rare étalé devant moi m’éclairait sur la véritable situation de M. Butler. Ce n’était pas seulement un homme un peu riche qui pouvait laisser dormir tant de capitaux dans les chambres de son manoir : c’était un homme extrêmement riche, qui menait un train relativement modeste, et me poser devant lui en aspirant à la main de sa fille, c’était me poser en mendiant effronté.

J’avais une envie folle de m’esquiver à l’instant même, je cherchais à improviser je ne sais quel incident pour me soustraire au dîner ; mais mon hôte me prit le bras, et, tout en me parlant des caïmans du Nil, il me fit asseoir entre sa fille et lui, face à face avec l’antipathique M. Black. Le petit Butler, joli garçon à la mine narquoise, était à la droite de son père,