Page:Sand - Jean de la Roche (Calmann-Levy SD).djvu/25

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crête. Un détail peindra tout à fait la situation. Ma mère, étant d’une faible santé et n’ayant d’autre promenade qu’une petite plate-forme au pied du château, sur le bord de l’abîme, ou le sentier rapide qui descend en zigzag aux rives du torrent, ou encore le chemin raboteux et cent fois exploré qui tourne à droite vers le coteau déprimé pour franchir le ruisseau et revenir, en face de nous, se perdre dans les bois, imagina de se créer un jardin au sommet de l’abîme où nous perchons. Comme celui de tous les contreforts basaltiques des environs, ce sommet est très-uni. Il est couvert de bonnes terres végétales et de buissons épais où il était facile de percer des allées et de dessiner des parterres. Seulement, un précipice séparait la châtelaine de cette cime enviée, par la raison que l’édifice n’est incrusté dans le rocher qu’en apparence. Les habiles architectes de la renaissance n’ont pas commis la faute de le cimenter à cette roche cristallisée en longs prismes que la gelée, l’orage ou les infiltrations menacent sans cesse. Un espace libre, de vingt pieds de large, est caché entre la roche et les derrières du castel. Tous les ans, on déblaye les ruines du rocher et on répare les reins plus ou moins endommagés de l’édifice, en attendant qu’un grand écroulement l’emporte au fond du gouffre. Ma mère, qui s’était habituée aux périls sans remède d’une pareille