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autres couvrait d’un voile poétique le néant glacé de leur âme ; mais le dégoût s’emparait de mon ivresse en moins de temps qu’il ne m’en avait fallu pour m’y jeter. Je revoyais toujours alors le spectre de la fille pure et pieuse, de la jeune mère de famille pour qui l’amour n’est que le but de la maternité sainte, et qui place le bonheur au-dessus du plaisir. Le fantôme de l’amie se levait devant moi, passait en me jetant un regard de pitié, et s’envolait dès que j’étendais les bras vers lui, comme pour me faire comprendre qu’il était trop tard, et que je n’étais plus digne de le fixer à mes côtés.

J’en étais digne pourtant, puisque mon âme ne s’usait pas, même dans l’abus de sa liberté, puisque je me sentais toujours ému jusqu’aux larmes quand, assis sur une grève lointaine, à trois ou quatre mille lieues de ma patrie, sous un ciel de feu ou au pied des glaces éternelles, je me retraçais, avec une exactitude de mémoire implacable, les moindres paroles et les moindres gestes de l’enfant que j’avais tenue dans mes bras, elle confiante et moi sans trouble, sur la mousse de la petite montagne de Bar. Mon bonheur avait été si fragile et mon roman si court, cependant ! D’où vient donc qu’après ces années d’énergie terrible qui vous bronzent ou vous éteignent à la suite des grands voyages, je me sentais encore si accessible