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à-dire âpre au bonheur et irrité contre le sort qui m’avait trahi.

Chose étrange ! ces retours vers le passé, ces impatiences contre le présent devinrent plus vifs à mesure que j’avançais dans la vie. Au commencement, la nouveauté des objets, la satisfaction des caprices, une sorte de parti pris contre mon pauvre cœur froissé, me soutinrent à travers les fatigues et les dangers sans nombre de mes voyages. C’est au moment où je devais m’y croire habitué que je sentis ce qui me manquait pour épouser l’isolement de la vie nomade. L’émotion du péril cessa de me charmer le jour où je m’avouai que je n’aimais pas la gloire, et que mes velléités de science m’avaient été fatalement inspirées, à mon propre insu, et en dépit de moi-même, par le désir d’entrer la tête haute dans la famille Butler. En perdant cette espérance et en sentant mourir mon cœur, j’avais continué à cultiver mon intelligence pour ne pas périr tout entier ; mais le cœur n’était qu’engourdi par la violence du coup qu’il avait supporté. Il se réveillait sans cesse, plus impérieux, plus indigné, quand j’avais assouvi les passions, je devrais plutôt dire les besoins de la jeunesse. Je courais comme un insensé après les femmes hardies, en me disant, en cherchant à me faire croire que celles-là seulement étaient des femmes, et que la chasteté des