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jean ziska.

ils prennent les vices du monde temporel et trempent dans ses crimes. Ils oublient, ils sont forcés d’oublier leur mission divine, idéale ! Ils deviennent conquérants et despotes à leur tour ; ils oppriment les consciences et tournent leur furie contre leurs propres serviteurs, contre leurs plus utiles instruments.

Ces serviteurs ardents, ces instruments précieux d’abord, mais bientôt funestes à l’Église, ce sont les hommes de sentiment, d’enthousiasme, de sincérité, de désintéressement et d’amour ; c’est l’autre côté de la nature humaine qui veut se manifester et faire régner la doctrine du Christ, la loi de la fraternité sur la terre. Ils n’ont ni la science organisatrice, ni l’esprit d’intrigue, ni l’ambition qui fait la force, ni la richesse qui est le nerf de la guerre. Les papes l’ont toujours parce qu’ils trouvent moyen de s’associer aux intérêts des souverains, et ils font mieux que de faire la guerre eux-mêmes ; ils la font faire pour eux, ils la suscitent et la dirigent. Les apôtres de l’égalité sont pauvres. Ils ont fait vœu de pauvreté ; à une certaine époque, ils sortent principalement des associations de frères mendiants ; ils se répandent sur la terre en vivant d’aumônes et souvent de mépris. Ils ne peuvent s’appuyer que sur le pauvre peuple, chez lequel ils trouvent d’immenses sympathies. En l’éclairant dans la voix de l’Évangile, ils font sortir de son sein de nouveaux docteurs qui, sans s’adjoindre à eux officiellement, et souvent même en s’en détachant tout à fait, continuent leur œuvre, entrent en guerre ouverte avec l’Église, sont flétris du nom d’hérétiques, agitent les masses, se répandent dans le monde sous divers noms, y prêchent le principe sous divers aspects, et partout y subissent la persécution. Mais le destin de l’hérésie n’est pas de triompher brusquement de l’Église ; elle ne peut que la miner sourdement, l’ébranler quelquefois par l’explosion des menaces