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préventions. Il m’a promis le secret, et m’a donné une garantie pour l’avenir. Ce papier, signé ce soir même, est déjà dans les mains d’Astolphe.

LE PRÉCEPTEUR.

Astolphe n’en fera point usage, et viendra le lacérer à vos pieds. Laissez-moi l’aller chercher, vous dis-je. Il est possible que vos prévisions soient justes, et qu’un jour vienne où vous aurez raison de vous armer d’un grand courage et d’une rigueur inflexible. Mais en attendant, ne devez-vous pas tenter tous les moyens de relever cette âme abattue, et de reconquérir ce bonheur si chèrement disputé jusqu’à présent ? L’amour, mon enfant, est une chose plus grave à mes yeux (aux yeux d’un pauvre prêtre qui ne l’a pas connu !) qu’à ceux de tous les hommes que j’ai rencontrés dans ma vie. Je vous dirais presque, à vous autres qui êtes aimés, ce que le Seigneur disait à ses disciples : « Vous avez charge d’âmes. » Non, vous n’avez pas possédé l’âme d’un autre sans contracter envers elle des devoirs sacrés, et vous aurez un jour à rendre compte à Dieu des mérites ou des fautes de cette âme troublée, dont vous étiez vous-même devenu le juge, l’arbitre et la divinité ! Usez donc de toute votre influence pour la tirer de l’abîme où elle s’égare ; remplissez cette tâche comme un devoir, et ne l’abandonnez que lorsque vous aurez épuisé tous les moyens de la relever.

GABRIEL.

Vous avez raison, l’abbé, vous parlez comme un chrétien, mais non comme un homme ! Vous ignorez que, là où l’on a régné par l’amour, on ne peut plus régner par la raison ou la morale. Cette puissance qu’on avait alors, c’était l’amour qu’on ressentait soi-même, c’est-à-dire la foi, et l’enthousiasme qui la donnait et qui la rendait infaillible. Cet amour, transformé en charité chrétienne