Page:Sand - Jean Ziska, 1867.djvu/228

Cette page n’a pas encore été corrigée

étais hors de toi, et j’admirais, moi aussi, comme tu joues bien la comédie.

ASTOLPHE.

Je ne la jouais pas, j’étais furieux ! Je le suis encore. Quand j’y pense, la sueur me coule du front.

GABRIEL.

Il ne t’a pourtant rien dit d’offensant. Il riait ; tout le monde riait.

ASTOLPHE.

Excepté toi. Tu paraissais souffrir le martyre.

GABRIEL.

C’était dans mon rôle.

ASTOLPHE.

Tu l’as si bien joué que j’ai pris le mien au sérieux, je te le répète. Tiens, Gabriel, je suis un peu fou cette nuit. Je suis sous l’empire d’une étrange illusion. Je me persuade que tu es une femme, et, quoique je sache le contraire, cette chimère s’est emparée de mon imagination comme ferait la réalité, plus peut-être ; car, sous ce costume, j’éprouve pour toi une passion enthousiaste, craintive, jalouse, chaste, comme je n’en éprouverai certainement jamais. Cette fantaisie m’a enivré toute la soirée. Pendant le souper, tous les regards étaient sur toi ; tous les hommes partageaient mon illusion, tous voulaient toucher le verre où tu avais posé tes lèvres, ramasser les feuilles de rose échappées à la guirlande qui ceint ton front. C’était un délire ! Et moi j’étais ivre d’orgueil, comme si en effet tu eusses été ma fiancée ! On dit que Benvenuto, à un souper chez Michel-Ange, conduisit son élève Ascanio, ainsi déguisé, parmi les plus belles filles de Florence, et qu’il eut toute la soirée le prix de la beauté. Il était moins beau que toi, Gabriel, j’en suis certain… Je te regardais à l’éclat des bougies, avec ta robe blanche et tes beaux bras languissants dont tu semblais