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entré, chemin faisant, dans un cabinet de lecture pour feuilleter un ouvrage nouveau, dont le titre exposé à la devanture m’avait frappé. Je m’étais oublié là à parcourir plusieurs autres ouvrages assez frivoles, dans lesquels j’étudiais avec une triste curiosité les tendances littéraires du moment ; si bien que minuit sonnait quand je me suis trouvé devant l’Opéra. C’était l’ouverture du bal, et, ralentissant ma marche, j’observais avec étonnement cette foule de masques noirs, de personnages noirs, hommes et femmes, qui se pressaient pour entrer. Il y avait quelque chose de lugubre dans cette procession de spectres qui couraient à une fête en vêtements de deuil[1].

Heurté et emporté par une rafale tumultueuse de ces êtres bizarres, je me sens saisir le bras, et la voix déguisée d’une femme me dit à l’oreille :

— On me suit. Je crains d’avoir été reconnue. Prêtez-moi le bras pour entrer ; cela donnera le change à un homme qui me persécute.

— Je veux bien vous rendre ce service, ai-je répondu, bien que je n’entende rien à ces sortes de jeux.

  1. Le journal de Jacques Laurent est daté de 183*, époque à laquelle les dominos étaient seuls admis au bal de l’Opéra. On n’y dansait pas.