Page:Sand - Isidora, 1845.djvu/109

Cette page n’a pas encore été corrigée

jetât dans son intimité un plébéien pauvre, sans ambition, sans facultés éclatantes, mais fortement et sévèrement épris des idées les meilleures et les plus vraies de son temps, il n’y avait rien de miraculeux dans ce fait, rien d’exceptionnel dans le génie de Jacques Laurent. Cependant ce fait produisit un miracle dans le cœur d’Alice, et ce bon jeune homme fut bientôt à ses yeux le plus grand et le meilleur des êtres.

Ce sentiment l’envahit avec tant de charme et de douceur, qu’elle ne songea pas à y résister d’abord. Elle s’y livra avec délices, et si Jacques eût été tant soit peu roué, vaniteux ou personnel, il se serait aperçu qu’au bout de huit jours il était passionnément aimé.

Mais Jacques était particulièrement modeste. Il avait trop d’enthousiasme naïf et tendre pour les grandes âmes et les grandes choses : il ne lui en restait pas assez pour lui-même. Absorbé dans l’étude des plus belles œuvres de l’esprit humain, plongé dans la contemplation du génie des maîtres de l’éternelle doctrine de vérité, il se regardait comme un simple écolier, à peine digne d’écouter ces maîtres s’il eût pu les faire revivre, trop heureux de pouvoir les lire et les comprendre.