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les puissances de son temps. Sa feinte, d’ailleurs, est trop habile ou trop maladroite : ou ce n’est pas de l’ironie assez évidente, et par là elle perd de sa force, ou elle n’est pas assez déguisée, et par là elle perd de sa prudence et de son effet. Il n’y a pas d’unité, il n’y a pas de fixité dans les jugemens de Rousseau sur le philosophe de Chenonceaux ; selon les époques de sa vie où les dégoûts de la persécution l’abattent plus ou moins lui-même, il le traite de grand homme ou de pauvre homme.

En de certains endroits des Confessions, on dirait qu’il rougit de l’avoir admiré. Rousseau a tort. Pour manquer de talent, on n’est pas un pauvre homme. Le génie vient du cœur et ne réside pas dans la forme. Et puis, la critique principale qu’il lui adresse avec tous les critiques de son temps, c’est de n’être point un homme pratique et d’avoir cru à la réalisation de ses réformes sociales. Il me semble pourtant que ce rêveur a vu plus clair que tous ses contemporains, et qu’il était beaucoup plus près des idées révolutionnaires, constitutionnelles, saint-simoniennes, et même de celles qu’on appelle aujourd’hui humanitaires, que son contemporain Montesquieu et ses successeurs Rousseau, Diderot, Voltaire, Helvétius, etc.

Car il y a eu de tout dans le vaste cerveau de l’abbé de Saint-Pierre, et, dans cette espèce de chaos de sa pensée, on trouve entassées pêle-mêle toutes les idées dont chacune a défrayé depuis