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par le sentiment des égards qu’elle avait déjà su m’inspirer. Elle marchait avec peine ; je me tenais tout près pour lui ramasser sa tabatière ou son gant qu’elle laissait souvent tomber et qu’elle ne pouvait pas se baisser pour ramasser ; car je n’ai jamais vu de corps plus languissant et plus débile, et comme elle était néanmoins grasse, fraîche, et point malade, cette incapacité de mouvement m’impatientait intérieurement au dernier point. J’avais vu cent fois ma mère brisée par des migraines violentes, étendue sur son lit comme une morte, les joues pâles et les dents serrées. Cela me mettait au désespoir, mais la nonchalance paralytique de ma grand’mère était quelque chose que je ne pouvais pas m’expliquer et qui parfois me semblait volontaire.

Il y avait bien un peu de cela dans le principe. C’était la faute de sa première éducation ; elle avait trop vécu dans une boîte, elle aussi, et son sang avait perdu l’énergie nécessaire à la circulation.

Quand on voulait la saigner, on ne pouvait pas lui en tirer une goutte, tant il était inerte dans ses veines. J’avais une peur effrayante de devenir comme elle, et quand elle m’ordonnait de n’être à ses côtés ni agitée ni bruyante, il me semblait qu’elle me commandât d’être morte.

Enfin, tous mes instincts se révoltaient contre cette différence d’organisation, et je n’ai aimé véritablement ma grand’mère que lorsque j’ai su raisonner. Jusque-là, je m’en confesse, j’ai eu