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mais il était vieux, très vieux ; il n’avait plus ni rancunes ni caprices ; il marchait d’un pas grave et mesuré ; respecté pour son grand âge et ses bons services, il ne recevait jamais ni corrections, ni reproches, et s’il était le plus irréprochable des ânes, on peut dire aussi qu’il en était le plus heureux et le plus estimé. On nous mettait, Ursule et moi, chacune dans une de ses bannes, et nous voyagions ainsi sur ses flancs sans qu’il eût jamais la pensée de se débarrasser de nous. Au retour de la promenade, l’âne rentrait dans sa liberté habituelle, car il ne connaissait ni corde, ni ratelier.

Toujours errant dans les cours, dans le village ou dans la prairie du jardin, il était absolument livré à lui-même, ne commettant jamais de méfaits, et usant discrètement de toutes choses. Il lui prenait souvent fantaisie d’entrer dans la maison, dans la salle à manger, et même dans l’appartement de ma grand’mère qui le trouva un jour installé dans son cabinet de toilette, le nez sur une boîte de poudre d’iris, qu’il respirait d’un air sérieux et recueilli. Il avait même appris à ouvrir les portes qui ne fermaient qu’au loquet, d’après l’ancien système du pays ; et, comme il connaissait parfaitement tout le rez-de-chaussée, il cherchait toujours ma grand’mère dont il savait bien qu’il recevrait quelque friandise. Il lui était indifférent de faire rire ; supérieur aux sarcasmes, il avait des airs de philosophe qui n’appartenaient