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m’apporter sur ses genoux pour y recevoir mille baisers arrosés de pleurs.

Vers la même époque, ma grand’mère commença à m’enseigner la musique.

Malgré ses doigts à moitié paralysés et sa voix cassée, elle chantait encore admirablement, et les deux ou trois accords qu’elle pouvait faire pour s’accompagner étaient d’une harmonie si heureuse et si large que, quand elle s’enfermait dans sa chambre pour relire quelque vieil opéra à la dérobée, et qu’elle me permettait de rester auprès d’elle, j’étais dans une véritable extase. Je m’asseyais par terre sous le vieux clavecin où Brillant, son chien favori, me permettait de partager un coin de tapis, et j’aurais passé là ma vie entière, tant cette voix chevrotante et le son criard de cette épinette me charmaient. C’est qu’en dépit des infirmités de cette voix et de cet instrument, c’était de la belle musique, admirablement comprise et sentie. J’ai bien entendu chanter depuis, et avec des moyens magnifiques. Mais si j’ai entendu quelque chose de plus, je puis dire que ce n’a jamais été quelque chose de mieux. Elle avait su beaucoup de musique des maîtres, et elle avait connu Gluck et Piccini pour lesquels elle était restée impartiale, disant que chacun avait son mérite, et qu’il ne fallait pas comparer, mais apprécier les individualités. Elle savait encore par cœur des fragmens de Léo, de Hasse et de Durante que je n’ai jamais entendu chanter