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avec elle, je la couvrais de caresses, en la suppliant de ne pas me donner pour de l’argent à ma grand’mère. J’aimais pourtant cette bonne maman si douce, qui ne me parlait que pour me dire des choses tendres ; mais cela ne pouvait se comparer à l’amour passionné que je commençais à ressentir pour ma mère, et qui a dominé ma vie jusqu’à une époque où des circonstances plus fortes que moi m’ont fait hésiter entre ces deux mères, jalouses l’une de l’autre à propos de moi, comme elles l’avaient été à propos de mon père.

Oui, je dois l’avouer, un temps est venu où, placée dans une situation anormale entre deux affections qui, de leur nature, ne se combattent point, j’ai été tour à tour victime de la sensibilité de ces deux femmes, et de la mienne propre, trop peu ménagée par elles. Je raconterai ces choses comme elles se sont accomplies, mais dans leur ordre ; et je veux tâcher de commencer par le commencement. Jusqu’à l’âge de quatre ans, c’est-à-dire jusqu’au voyage en Espagne, j’avais chéri ma mère instinctivement et sans le savoir. Ainsi que je l’ai dit, je ne m’étais rendu compte d’aucune affection, et j’avais vécu comme vivent les petits enfans et comme vivent les peuples primitifs, par l’imagination. La vie du sentiment s’était éveillée en moi à la naissance de mon petit frère aveugle, en voyant souffrir ma mère. Son désespoir à la mort de mon père