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et qui n’a pour aliment que de fantômes, j’en fus obsédée pendant toute mon enfance. Mais quand l’âge et la raison eurent dissipé ces chimères, je retrouvai l’équilibre de mes facultés et ne connus jamais aucun genre de peur.

Nous arrivâmes à Nohant dans les derniers jours d’août. J’étais retombée dans ma fièvre, je n’avais plus faim, la gale faisait de progrès. Une petite bonne espagnole, que nous avions prise en route et qui s’appelait Cécilia, commençait aussi à ressentir les effets de la contagion, et ne me touchait qu’avec répugnance. Ma mère était à peu près guérie déjà, mais mon pauvre petit frère, dont les boutons ne paraissaient plus, était encore plus malade et plus accablé que moi.

Nous étions l’un et l’autre deux masses inertes, brûlantes, et je n’avais pas plus conscience que lui de ce qui s’était passé autour de moi depuis le naufrage dans la Gironde.

Je repris mes sens en entrant dans la cour de Nohant. Ce n’était pas aussi beau, à coup sûr, que le palais de Madrid, mais cela me fit le même effet, tant une grande maison est imposante pour les enfans élevés dans de petites chambres.

Ce n’était pas la première fois que je voyais ma grand’mère, mais je ne me souviens pas d’elle avant ce jour-là. Elle me parut aussi très grande, quoiqu’elle n’eût que cinq pieds, et sa figure blanche et rosée, son air imposant, son invariable costume, composé d’une robe de soie brune à taille