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longeâmes le champ de bataille, le lendemain ou le surlendemain, et que je vis un endroit tout couvert de débris informes, assez semblable, en grand, au carnage de poupées, de chevaux et de chariots que j’exécutais avec Clotilde à Chaillot et dans la maison de la rue Grange-Batelière. Ma mère se cachait le visage et l’air était infecté. Nous ne passions pas assez près de ces objets sinistres pour que je pusse me rendre compte de ce que c’était, et je demandais pourquoi on avait semé là tant de chiffons. Enfin la roue heurta quelque chose qui se brisa avec un craquement étrange. Ma mère me retint au fond de la charrette pour m’empêcher de regarder. C’était un cadavre. J’en vis ensuite plusieurs autres, épars sur le chemin. Mais j’étais si malade que je ne me souviens pas d’avoir été vivement impressionnée par ces horribles spectacles.

Avec la fièvre, j’éprouvai bientôt une autre souffrance qui ne se concilie pas souvent avec ce désordre de la vie, et dont pourtant tous les soldats malades avec lesquels nous voyagions éprouvaient aussi les angoisses : c’était la faim ; une faim excessive, maladive, presque animale. Ces pauvres gens, pleins de soins et de sollicitude pour nous, m’avaient communiqué un mal qui explique ce phénomène, et qu’une petite maîtresse n’avouerait pas avoir subi, même dans son enfance.

Mais la vie a ses vicissitudes, et quand ma mère se désolait de voir mon petit